Ithaca

L’Odyssée, l’un des meilleurs romans de tous les temps et une référence bibliographique essentielle, ne raconte pas seulement le fantastique voyage d’Ulysse à Ithaca. Il s’agît aussi d’un hommage à la nature humaine et à sa capacité de surmonter les obstacles et à atteindre des objectifs qui semblaient impossibles. Ithaca n'est pas seulement une île, ce n'est pas seulement le royaume d'Ulysse. C’est beaucoup plus: c’est une allégorie, un emblème de la capacité à réaliser des rêves.

Cette petite île grecque bien-aimée, le poète la décrit avec une telle affection, comme un prototype de la patrie, de sorte qu’elle acquiert une symbolique universelle. C'est l'îlot où se trouve la patrie à laquelle on aspire toujours. Un port où on trouve refuge et sécurité. Ithaca est important car Ulysse y retrouve son identité perdue.

Ithaca, patrie d'Ulysse - et peut-être d'Homère - est aussi la patrie mentale de ceux qui sont toujours à la recherche d’un abri sûr et calme, un havre de paix, un lieu d’accomplissement et de réalisation personnelle. La vraie signification de cette île est quelque chose de simple et d’intime, Ithaca est le chemin, Ithaca est la vie elle-même. 
​
Notre vie est ce que nous avons de plus précieux et souvent nous la laissons passer sans douleur ni gloire, nous permettons à la routine et aux jours gris d’annihiler notre moi et nous oublions ce qui compte vraiment. Le concept d'Ithaca incarne le concept de sagesse, de ce que nous apprenons sur notre chemin et durant notre existence, de ce que nous accumulons peu à peu dans le sac à dos de nos expériences et de nos mémoires, ce que nous portons toujours avec nous-mêmes. 

​​POEME DE CONSTANTIN CAVAFIS

​Quand tu partiras pour Ithaca,
souhaite que le chemin soit long,
riche en péripéties et en expériences.
Ne crains ni les Lestrygons, ni les Cyclopes,
ni la colère de Neptune.

Tu ne verras rien de pareil sur ta route
si tes pensées restent hautes, si ton corps
et ton âme ne se laissent effleurer que
par des émotions sans bassesse.

Tu ne rencontreras ni les Lestrygons,
ni les Cyclopes, ni le farouche Neptune,
si tu ne les portes pas en toi-même,
​si ton cœur ne les dresse pas devant toi.

Souhaite que le chemin soit long,
que nombreux soient les matins d'été,
où (avec quelles délices !)  tu pénètreras
dans des ports vus pour la première fois.
​
Fais escale à des comptoirs phéniciens,
et acquiers de belles marchandises :
nacre et corail, ambre et ébène,
et mille sortes d'entêtants parfums.

Acquiers le plus possible de ces entêtants parfums.
Visite de nombreuses cités égyptiennes,
et instruis-toi avidement auprès de leurs sages.

Garde sans cesse Ithaca présente à ton esprit.
Ton but final est d'y parvenir, mais n'écourte pas ton voyage :
mieux vaut qu'il dure de longues années,
et que tu abordes enfin dans ton île aux jours de ta vieillesse, riche de tout ce que tu as gagné en chemin, sans attendre qu'Ithaca t'enrichisse.

Ithaca t'a donné le beau voyage :
sans elle, tu ne te serais pas mis en route.
Elle n'a plus rien d'autre à te donner.
Même si tu la trouves pauvre, Ithaca ne t'a pas trompé.

Sage comme tu l'es devenu à la suite de tant d'expériences, tu as enfin compris ce que signifient les Ithacas.

Traduction de Marguerite Yourcenar